En 2009, Michel El-Malem réunissait en studio trois musiciens solidement ancrés dans la scène jazz européenne pour graver First Step, « premier pas » d’une formation que l’on retrouve aujourd’hui augmentée de Marc Copland. Celui-ci se fond dans ce groupe qui a gagné en maturité, et lui apporte ses lumières harmoniques caractéristiques, favorisant – et c’est en cela que ce deuxième album est bien nommé – les nuances, couleurs et subtilités d’une musique qui se redécouvre à chaque écoute.

L’apport de Copland, grand pianiste américain, est essentiel, mais ne prend son sens que parce qu’il s’inscrit au sein d’un jeu collectif éblouissant où chacun s’épanouit. Pour autant, les solos ne sont pas prétexte à d’égocentriques bavardages. On a veillé ici, en termes d’agencement de la musique, à ce que l’énorme potentiel de cette somme de personnalités soit toujours au service du développement des pièces. Ces dernières, relativement longues, bénéficient d’une écriture soignée privilégiant la narration sur la durée. Aux structures « en pointillés » où les interventions personnelles se retrouveraient coincées entre deux exposés du thème, on a préféré de vastes espaces : solistes et accompagnateurs font vivre et évoluer leur discours au gré de mouvements où les chorus sont aussi un moyen de pénétrer plus avant dans la musique. D’autant qu’on a souvent affaire, vu l’arrière-plan souple et inventif, à une improvisation collective sous-tendue par la ligne mélodique ainsi magnifiée.

La section rythmique est à ce titre un modèle de réactivité et d’inventivité, bassiste et batteur étant en dialogue constant, entre eux et avec les autres. À la fois imprévisibles et évidentes, les lignes de basse ancrent la musique, ménagent de succulentes syncopes ou placent l’ensemble en apesanteur par un leitmotiv aussi lancinant que calculé (« La mort n’existe pas »). Elles sont constamment réinventées par un Marc Buronfosse toujours épatant de justesse et d’élégance dans la sonorité. A l’avenant, Luc Isenmann fait montre d’un exceptionnel sens de la couleur et dilue son drumming efficace dans un océan de nuances. Son travail sur les cymbales, en tous points remarquable, contribue à établir un son collectif à la fois léger et d’une grande profondeur.

Cette pulsation mouvante accueille le jeu cérébral, habituellement empreint de nostalgie, de Marc Copland, mais valorise son versant le plus chaleureux. Chacune de ses interventions est un petit soleil en soi. Les chorus rayonnent, les contre-chants distillent de subtils effets d’éclairage, comme les rayons rasants du couchant soulignent les paysages d’insoupçonnables reliefs en accentuant les contrastes. Le piano jaillit, s’étale, suspend le temps, récupère au vol les phrases des uns et des autres, répond avec facétie aux solistes… et finit par occuper une place centrale. Preuve que la rencontre était pertinente. La place qui lui est laissée est représentative de la générosité du groupe. Il convient par ailleurs de saluer la prestation de Michael Felberbaum, discrète mais indispensable. Sa guitare, à défaut de remplir le rôle harmonique tenu par Copland, donne au son de l’amplitude (les thèmes sont souvent interprétés à l’unisson par la guitare et le saxophone), du moelleux et, sur « La fenêtre », un mordant essentiel.

Michel El-Malem, en plus d’avoir eu le bon goût de réunir cette équipe et de composer ce beau répertoire, déploie un jeu d’une grande envergure. Au ténor, la sonorité est puissante, le phrasé robuste. Au soprano, place à une sensibilité et à de jolies phrases, sinueuses et mélodiques. Le temps d’une parenthèse en solo absolu (« Ici »), il dévoile une surprenante aptitude à construire un monde captivant, en toute simplicité. Chacune de ses interventions, mesurées, présente le double intérêt d’être passionnante et de servir au mieux la musique éminemment collective née de sa plume et nourrie du talent de ses comparses.
On a beau se perdre dans les méandres des interactions, se focaliser sur les riches parties de chacun, se laisser emporter par les ambiances bleutées ou la chaleur du son, l’insaisissable scintillement de ces Reflets n’a pas fini de nous inonder de lumière.
Olivier Acosta

Source : Citizenjazz.com – Edition du 26 mars 2012